La mort... Tabou?

Il y a peu de temps, j'ai eu une conversation avec mon père.
Une conversation que je pensais ne jamais pouvoir avoir avec lui.
Nous avons parlé de la mort. De sa propre mort.
Mon père, 77 ans cette année est malade.
 En 2002 les médecins lui donnaient 2 ans. Je vous laisse compter.
Les années que nous avons gagnées n'en sont que plus savoureuses.
Je dis nous parce que mon père a gagné certes 14 ans de rab, mais nous, ses proches, sa famille, les gens qui l'aimons, avons gagné tant de chose. Tout d'abord son amour... cet amour qu'il a su communiquer et distribuer. Comme une prise de conscience que l'épée de Damocles n'est jamais très loin et qu'elle peut tomber à n'importe quel moment.
Alors oui, il l'a formulé... je n'ai pas le souvenir qu'il l'ai fait avant.
Lorsque j'ai su que mon père était malade et qu'il lui restait peu de temps à vivre (à l'époque), j'ai pensé à ma fille qui avait alors 5 ans. J'ai repensé à mes grands parents maternels dont j'ai finalement peu profité.
Mon grand père est parti, j'avais 12 ans et ma grand mère, j'en avais 16. Je me souviens parfaitement de la mort de ma grand mère. D'un tas de détails et surtout d'une réflexion que je me suis faite des années plus tard....
"Elle ne m'a jamais parlé d'elle, raconté son enfance, elle est partie avec ses merveilleuses recettes de mama italienne, ses aubergines en sauce tomate qu'on aurait dit des champignons, des Struffoli, ces espèces de petits beignets de carnaval, ronds, souples baignés dans le miel, sa Torta, une pâte à pain étalée sur 2 cm d'épaisseur, cuite, et qui monte très peu, puis coupée en deux, dans laquelle chacun à table met brocolis, saucisse et charcuterie, les cannelloni à sa façon, comme les raviolis et tant de choses succulents.
Alors je me suis dit qu'il ne fallait pas qu'il parte maintenant mon Papa, que ma fille avait encore des tas de choses à partager avec lui. Mon père, cet instituteur sévère qui lui avait donné très jeune, le goût de l'écriture et de la lecture, avait encore beaucoup à lui apprendre.
Aujourd'hui elle a 20 ans passé et elle mesure la chance d'avoir encore son grand père. Elle a appris à profiter de lui.
Son époque d'ado égoïste est derrière elle et quand elle passe le voir, je sais que l'un comme l'autre sont heureux. Lui parce que c'est un rayon de soleil qui rentre dans sa maison. Elle parce qu'elle sait que ces moments sont précieux pour lui, que le temps est compté et qu'elle est heureuse de les lui offrir, elle se sent utile.

Mais je m'égare.

Mon père a été hospitalisé voilà un mois, juste quelques jours. Un midi, alors que je l'appelais pour lui demander comment se passait ses "vacances à hôpital", et pour une fois que ma mère n'était pas dans ses parages, je me suis risquée.. "papa, je vais te parler d'un truc un peu bizarre, ça me gène de t'en parler, faut pas le prendre mal, mais c'est important".... J'avais mal et je savais que bien que je sois à cet instant au bureau à ma pause déjeuner, je serai submergée par l'émotion. Je me suis lancée "Quand tu ne seras plus là, comment veux tu que ce soit ?".. j'étais consciente que cette formulation n'était pas très française et encore moins claire, mais je savais qu'il comprendrait exactement ce que je voulais dire.
A mon grand soulagement, il n'a pas eu l'air choqué, bien au contraire. J'ai presque entendu son sourire à l'autre bout ! Ravi que nous puissions aborder ce sujet. Je pense qu'en fait il ne l'a jamais abordé ni avec ma mère, ni avec mon frère.
Malgré effectivement toute cette émotion que je sentais monter et qui me serrait la gorge, j'ai ressenti une sorte d'apaisement.
Nous avons échangé un moment, il m'a fait part de ses désirs, des choses assez simples mais précieuses je le sais, pour lui.
Ce qui m'a le plus marqué c'est lorsque nous avons parlé d'une musique, il m'a dit "J'aimerais que vous passiez "Le temps des Cerises". C'est un morceau que ma mère chantait avec ma soeur. Et puis on l'a passé à l'enterrement de mon père et de ma mère".... A ce moment, ce n'est plus mon papa que j'avais au bout du fil, c'était le petit garçon qu'il avait été, avec son papa, sa maman et ses 3 soeurs. Et j'ai senti cette nostalgie dans sa voix que l'on doit ressentir quand sur la fin de sa vie on parle d'un passé très lointain mais merveilleux.
Je me suis engagée à respecter sa volonté, la plus importante....La dignité. Partir dans la dignité.
Mon Dieu qu'il est difficile de penser à cet instant où, dans la balance on doit mettre notre envie égoïste de profiter encore un peu, juste un peu et le désir de l'autre de partir maintenant pour rester digne avant de trop souffrir et d'être trop diminué. Je sais qu'un jour où l'autre nous y serons confrontés.

On peut parler de la mort avec les personnes en bonne santé, c'est toujours très simple, on peu même en plaisanter... Mais quand la personne est malade... on a cette peur presque superstitieuse de précipiter les choses.

J'ai appris avec cette maladie l'importance de dire les choses, de les aborder avec sérénité, de dire à l'autre qu'on l'aime, de ne pas être rancunier avec les gens qui nous sont chers, même ceux qui nous ont fait du mal à un moment. Essayer de comprendre la réaction, le pourquoi.
Mon père est comme ça. J'ai parfois eu des paroles dures avec lui, je l'ai parfois excédé par ma désinvolture, mais jamais, jamais il ne m'en a voulu. Ravalant sa fierté, relativisant sans doute... Tout est toujours question de balance.... ce que l'on gagne, ce que l'on perd...

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 





Commentaires

Françoise a dit…
Bonsoir Barbara,
Je suis contente de revenir te lire sur ton blog. Tes mots sont toujours emplis d'émotions. Oui, il n'est pas facile de parler de la mort aux personnes que l'on sait proches de la fin de vie, et pourtant, tu vois, ton papa était content que tu abordes le sujet avec lui. Je pense que la personne concernée a peur d'inquiéter, aussi s'abstient-elle d'en parler, mais lorsque quelqu'un évoque le sujet, cela doit sûrement faire du bien de pouvoir le faire, encore plus lorsqu'il s'agit de sa fille. La mort est encore un sujet tabou.
J'aime beaucoup cette photo. Tu ressembles beaucoup à ta maman. :-)
Belle fin de semaine, Barbara. Bisous.
barbara a dit…
MERCI FRANÇOIS. Il parait oui que je ressemble à ma mère et j'en suis flattée car je trouve que ma mère était très belle, ce côté latin de la belle italienne. Mais avec tout l'amour maternel que je lui porte, j'essaye au jour le jour de ne pas lui ressembler. Mais c'est sans doute normal, en grandissant nous essayons, je pense d'être différents, même si les racines sont les mêmes. Nous analysons en chacun de nos parents ce que nous voulons et ce que nous ne voulons pas.
Mais peut être est ce aussi la vie qui se charge de faire ce nous ce que nous devenons, avec ses joies et ses peines, ses regrets et ses frustrations.
Merci en tous les cas pour ce retour.
Bisous à toi. Bon début de semaine.
Claudio a dit…
Content de te retrouver dans l'écriture et les blogs. Ce texte-ci est très émouvant. Je t'embrasse.
alezandro a dit…
C'est un texte fort, entre pudeur et vérité! Des mots qu'il faut oser écrire même s'ils sont guidés par l'amour d'une fille pour son père! Superbe!

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