Annie...

 La vie est un éternel recommencement... Il y a un peu plus d'un an je vivais la même chose. Ces moments terribles où la vie rétro pédale, à la façon de Benjamin Boton... D'adulte équilibré, vif, intelligent, curieux de tout, l'Homme redevient l'enfant de 1 an qui regarde la vie béatement, le sourire accroché aux lèvres, le verbe rare..  a la seule différence, la profondeur du regard qui se fait vide comme si la vie peu à peu cherchait à se faufiler par le petit point noir de l'iris perdu dans une pupille pâle.

Assister à tout ca, impuissant et tenir pour ceux qui restent et se battent aux côté de ce corps qui a baissé les bras, de cette tête qui a perdu sa petite boussole.

C'est bien innocemment qu'apres avoir vécu le départ de mon père en 2018, de ma mère l'an dernier, je me croyais débarrassée, malgré moi de cette douleur de vivre la déchéance d'un proche..  je m'imaginais avoir le temps, avoir encore de la marge... Mais on s'en prévient quand on vit en dehors de la société. Et c'est tout... Il faut vivre dans une grotte, comme un hermite pour ne plus ressentir cette tristesse de l'inéluctable. 

Annie était une femme pleine de vie, Annie aura 80 ans en janvier. Mais Annie ne fêtera sans doute jamais ses 80 ans, parce qu'elle ne connaîtra sûrement pas non plus ce Noël qui sera là pourtant dans moins de 2 mois.

Annie c'est la maman de mon compagnon. Voilà 6 ans que je la connais et elle m'a accueillie à bras ouverts, tellement heureuse de voir son fils enfin heureux après ces années de séparation difficile.

Elle n'est pas parfaite, elle peut être parfois un peu retord car elle est humaine, comme nous tous.

Mais je l'aime bien et elle m'aime bien. Cette femme avec qui mon père a eu le temps d'avoir quelques échanges,tous les deux lecteurs de science et Vie, passionné par ce qui reste pour moi un grand mystère et beaucoup d'incompréhension.... La science, la physique, toutes ces choses qui me sont abstraite a moi l'artiste!

Annie est pourtant une artiste, elle faisait du pouring... Elle a orné ses murs de ses toiles colorées et aiment en offrir...

Annie écrit des poèmes, elle manie bien les vers et les mots avec lesquels elle jongle pour les faire chanter et rimer.

Annie cuisine. De la table de cette savoyarde de naissance on ressort en rampant, tellement repu. Ses foies gras à Noël sont un délice, sa bûche au moka l'est parait il tout autant .. dommage je n'aime pas le café...son veau au citron ou son gratin dauphinois....vous clouent !

Annie est croyante, le dimanche matin elle regarde "le jour du seigneur". Elle porte une petite croix. Elle est coquette et pas matérialiste "tiens essaye cette, veste, elle te plaît?" "Et ce bracelet? Tu sais, c'est de l'or!"

Combien de cierge n'avons nous pas déposés pour elle, avec ce voeux pieux que mes prières d'athée ou celles plus conventionnelles de son fils fassent un miracle....

Mais aujourd'hui Annie  ne lit plus, ne peint plus, ne cuisine plus...elle vous regarde et a ce petit rire nerveux qui ponctue toutes ses phrases pour masquer   la confusion de son esprit.

Annie n'a jamais fumé mais c'est bien un cancer du poumon qui est en train de l'emporter...les métastases se sont baladées et les dernières arrivées sont venues se nicher dans son cerveau. 

Son mari aurait tant voulu la garder à la maison mais les médecins lui ont déconseillé, alors Annie passe la semaine dans un établissement hospitalier dans un service de soins palliatifs. Sa chambre donne sur la colline, dommage, en face elle donnerait sur la Soane. Elle a pas mal de visites et son mari vient tous les jours, c'est à 20 mn en voiture de chez lui. 

Heureusement il conduit.

Et le weekend il signe une décharge pour la ramener à la maison. 

Cet été elle voulait que nous passions quelques jours au bord du lac d'Annecy. Elle a voulu aller au cimetière du village où elle a grandi pour visiter ses parents.

Elle, elle ira près de chez elle pour que son époux puisse aller la voir plus souvent, ses enfants et petits enfants aussi.

Il y a près d'un mois les medecins ont dit à ses enfants et son mari... 4 à 6 semaines.

Hier tandis que je l'embrassais, j'ai eu tout le mal du monde à retenir mes larmes... Quand on est conscient que l'aurevoir est sans doute un adieu.... "Au-revoir Annie, on se revoit bientôt ?!?"

"Oui oui, bien sûr qu'on se revoit bientôt, évidemment"...un regain d'énergie dans la voix.

J'avais un nœud dans la gorge et des sanglots près à exploser. Alors je me suis tournée et lancé "aller faut y aller, je vais louper mon train"

Son mari m'attendait à la porte. Je l'ai serré dans mes bras..."a bientôt". Il avait ce regard embué, et le sourire triste "oui, à bientôt Barbara"

J'ai pris la main de mon chéri pour l'attirer dans le couloir...et c'est dans l'ascenseur que mon rimel s'est mis à couler. 

J'ai retrouvé dans sa force a lui, celle que j'avais il y a 4 ans quand j'ai dit au revoir à mon père à l'hôpital de Monaco, tandis que son regard s'évadait déjà au loin ... Je ne savais pas que ce serait la dernière fois.. il s'est éteint dans la nuit. Cette force que j'ai eu face au corps sans vie de ma mère dans son lit médicalisé au milieu du salon l'an passé. On tient pour les autres..

On ne peut en prendre conscience que lorsque l'on y est confronté. On est en fait très fort! 

Vieillir est un privilège diront ceux qui ont perdu des êtres chers jeunes....

Mais comment? 


Cette photo a été prise cet été. Annie et Jacques lisaient dans leur transat, à l'ombre....




Commentaires

Françoise a dit…
Vieillir est un privilège, c'est ce que je dis souvent, par rapport bien sûr à mon frère qui est parti trop tôt, mais dans quelles conditions en effet ? Vivre vieux mais subir la déchéance de son corps, de son esprit ? Ou mourir jeune en possession de tous ses moyens ? Quoiqu'il en soit, la perte d'un être aimé est toujours inacceptable et douloureuse.
Je pense à Annie, à son mari, à toi Barbara, à ton ami. Douces pensées à vous tous. Je t'embrasse fort.
Gine a dit…
Je comprends ta souffrance, celle de tes proches... Je viens de perdre mon amie, elle me manque tous les jours. En plus de la peine, il y a la révolte: partir trop jeune, à 60 ans juste sonnés, dans des souffrances terribles... Admettre que la mort est la meilleure solution, quand la morphine ne peut rien. Le chemin est difficile, et la consolation semble impossible. Courage à vous tous, amicalement.
barbara a dit…
Chères vous deux,
Françoise, Gine qui m'aviez laissé un message à l'écriture de ce post en Novembre.
Françoise tu le sais car nous nous suivons ailleurs, Gine non, mais je n'ai plus pris le temps de venir écrire ici. je viens quand le besoin se fait sentir.
Annie nous a quitté le 16 décembre, elle s'est éteinte, comme une bougie, un beau matin pensant sa toilette. L'équipe médicale la manipulait..; et d'un coup elle a arrêté de respirer, voilà...
Un Noël un peu triste à Lyon, au lendemain de son enterrement le 23.
Mais elle était avec nous, présente dans le sourire de chacun de nous, pour donner le change aux autres.
Nous étions en famille, mon compagnon, son père, ses frères et soeurs, ses enfants, ma fille.
Merci pour vos gentils mots.
La vie continue....

Il faudrait que je sois plus assidue dans mes passages ici.

je vous embrasse !

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