Il est parti...

Il est 5h50, je dors paisiblement. Nous sommes lundi 6 août. Il fait toujours aussi chaud.
Le téléphone fixe sonne. Une sonnerie. Je m'assieds d'un coup dans le lit. "Mon Dieu, c'est mon père. C'est fini".... à haute voix, à mon amoureux qui ouvre les yeux en sursaut. 2ème sonnerie je décroche. Je sais que c'est ma mère. La seule à m'appeler sur mon fixe. Avant même qu'elle me le dise, je l'interroge "Ca y'est maman, il est parti?"... sa voix blanche à l'autre bout me le confirme. "Tu sais, j'ai lutté pour rester réveillée mais je me suis effondrée d'épuisement. Lorsque je me suis réveillée en sursaut, je ne l'entendais plus respirer. Je me suis levée, j'ai posé ma main sur sa poitrine. Elle ne se soulevait plus..; j'ai appelé une infirmière. J'espère qu'il n'a pas eu peur, qu'il ne m'a pas appelée."..... "maman, on arrive". Je me suis blottie dans les bras de mon amoureux, en larmes "je n'ai plus de papa...."

Le lundi 30 juillet,  papa a été hospitalisé. Il ne s'alimentait plus, ne buvait plus. C'était mieux comme ça. Et puis le jeudi, ils ont décidé de le mettre dans une chambre seul. Il avait une jolie vue sur la mer, sur les toits de Monaco. Mais cette vue elle était pour nous. Papa dormait quasiment tout le temps. Lorsqu'il ouvrait les yeux, il fixait un point. Rarement il nous regardait. Je guettais une émotion dans son regard. Je n'en voyais pas; je n'en voyais plus. Je lisais en revanche un air déterminé.. résigné? Je ne sais pas. Nous lui parlions. Je sais qu'il nous entendait car il réagissait parfois. Mais je crois qu'il s'économisait. Il était devenu prisonnier d'un corps trop lourd pour lui, chaque mot, chaque geste, même le battement de paupières était devenu pour lui quelque chose de compliqué. Mais jusqu'à son dernier souffle, il a tiré sur sa chemise qui remontait un peu trop sur ses cuisses. Jusqu'à son dernier souffle il a refusé de se laisser aller, réclamant de l'aide pour faire pipi.
Il voulait partir digne. C'est ce qu'il a fait.

Mon frère était arrivé le vendredi. Mes neveux et nièces, ma fille, le samedi. Chacun de nous a passé du temps avec lui dans la chambre, à lui dire ce qu'il avait à lui dire. Tout notre amour. Je me suis excusée de l'avoir traité de vieux con un jour, il y a fort longtemps. Mais je sais que ça l'avait marqué "papa, tu sais, c'est pas vrai, tu n'étais pas un vieux con, c'est moi qui étais une petite conne... excuse moi"... et ça l'a fait sourire. Mon ex mari, qu'il aimait tant, est venu aussi avec ma fille. Nous sommes allés tous les 3 autour de son lit. Lui avons dit que nous nous aimerions toujours parce que notre fille était entre nous et que c'était ça le plus important. Il m'a regardé dans les yeux. Je lui tenais la main. Le dimanche ce sont ses 3 soeurs qui sont venues. Et puis, à tour de rôle, mes neveux, ma fille, mon frère et moi, lui avons dit qu'il pouvait partir serein. Qu'il avait eu une belle vie et qu'il nous avait rendu heureux. Que grâce à lui, nous avions appris tant de choses... mais que si il était fatigué, qu'il ne se soucie pas de nous, que nous saurions faire sans lui et que l'on prendrait soin de notre mère.
Nous lui avons passé de la musique... du classique, du Barbara, du Brel, du Queen...... je crois qu'il réagissait bougeant imperceptiblement son pied....Avant de partir, le dimanche, vers 20H, maman lui a demandé "Tu veux que je reste?".. et pour la première fois depuis le début de la semaine, il a dit "Bien sûre".... Etonnée, elle lui a reposé la question différemment : "Tu veux que je reste, ou tu veux que je parte".. Une réponse claire.. "je veux que tu restes"....
Alors nous avons laissé ma mère avec lui. Ils lui ont installé un lit de camps. J'ai embrassé papa sur le front, je lui ai redit pour la énième fois que je l'aimais. Il était déjà froid... Mais je pensais que c'était la clim.... je lui ai dit "A demain papa"... mes derniers mots.

Sans doute, trouverez vous que tout ceci manque de pudeur... Mais j'avais besoin d'écrire, de raconter tout ça. Pour ne pas oublier. Mon exutoire.

Il a eu un enterrement magnifique. Une église comble, des témoignages de ses anciens élèves et des personnes qui l'ont croisé, poignants et magnifiques. Nous avons pris conscience de l'affection que chacun lui portait malgré sa sévérité.
Mon frère, ma nièce, ma fille, le Maire de Villefranche et moi même, avons lu un texte que nous avions écrit pour lui. Un enterrement pas triste, comme il le souhaitait. Avec en fond musical, "le temps de cerises".. chanté par sa soeur, sur un CD. C'était son souhait.

Hier soir, tandis que je regardais le ciel pour la nuit des Perseides, le texte du Petit Prince m'a enveloppé
"Quand tu regarderas le ciel, la nuit, puisque j’habiterai dans l’une d’elles, puisque je rirai dans l’une d’elles, alors ce sera pour toi
comme si riaient toutes les étoiles. Tu auras, toi, des étoiles qui savent rire !


Commentaires

Françoise a dit…
Je ne vois pas où ton texte pourrait manquer de pudeur, Barbara, je ne lis que de l'émotion et de l'amour, un immense amour pour ton papa. Je sais combien cela fait du bien d'écrire et de raconter, je le sais, et je comprends.
Merci pour ce partage si émouvant, Barbara. Je t'embrasse fort.
Vu par Doume a dit…
Comme c'est bon de se savoir aimé et de se souvenir de cela.
Merci Barbara
D.
barbara a dit…
Oui Doume, c'est la plus belle chose que de se sentir aimé. Et je sais qu'il est parti serein à ce niveau.
Les jours passent et j'ai l'impression que c'est plus difficile qu'au début.
Les bons souvenirs me font mal.. mais je les ai. A mo de les transformer en moments apaisants.

Merci pour ton passage.

Barbara

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