Ligne 12


Alors, je sais, j'ai bien dit "très peu de mots", mais là, j'avais envie de partager ce texte.

En ce dimanche matin, aux alentours de 11h, la rame n'était pas pleine, bien au contraire. Tant mieux, la foule dans les transports ce n'est pas ma tasse de thé, les bousculades, les cris, odeurs.... je m'installais dans le sens de la route sur une banquette vide, encore emmitouflée dans mon manteau noir, et mon chapeau gris vissé sur la tête. J'ai retiré mes gants pour sortir mon plan de métro soigneusement plié dans une de mes poches. J'ai bien vérifié mon itinéraire.
Voyons Christine m'avait dit "jusqu'à Montparnasse, puis changement pour la ligne 4".
Les stations se sont mises à défiler et chaque fois, je levais la tête pour recompter le nombre d'arrêts qui me séparait de ma descente.
Arrêt, les portes s'ouvrent, des gens descendent et d'autres montent. Je regarde amusée toute cette faune qui se croise : des amoureux, des touristes, des noctambules en retards, des BCBG, des "racailles".... finalement tout ce petit monde se côtoie très bien.... c'est ça Paris.
Je ne l'ai même pas vu arriver dans mon dos, trop occupée à choisir un morceau sur mon MP3, mais elle m'a frôlé de sa jupe au moment où le métro repartait. J'ai alors levé les yeux et l'ai découvert s'installant en face de moi, ses jambes faces aux miennes.
Ce que j'ai ressenti sur le moment, je ne l'avais jamais ressenti avant, une profonde pitié et un malaise à peine perceptible......
Elle n'était pas bien grande, tout au plus ma taille, mais sa façon de se tenir la réduisait encore d'un tiers.
Un anorak beige, comme ceux que nous avions fin des années 70 pour aller au ski, fins et usé, mais propre. Un pull bordeaux en dépassait à la taille. Elle portait une vieille jupe de tweed vert à carreau, évasée vers le bas. Assise, cette jupe d'un autre temps, s'arrêtait juste sous ses genoux quelle tenait serrés. Etait-ce un collant? Je n'osais pas regarder mais comment pouvait il en être autrement avec le froid qu'il faisait à l'extérieur. Je m'aventurerai donc à parler d'un collant chair sur ses petites jambes maigrelettes. Je baissais une fois de plus mon regard lorsque j'aperçu ses chaussures. En cette saison ou le cuir méritait en plus une bonne paire de chaussettes bien chaudes, elle ne portait qu'une misérable paire de tennis en toile, celles que les petites mamies sur la Côtes, portent (lorsqu'elles ne sont pas en sandales) pour se promener sur la Promenade des Anglais. Couleur indéfinie, mastic peut être, plus que grise..... Mais voilà, c'est là que j'ai ressenti le malaise, pourquoi, je ne sais pas. Sur ces petites chaussures, et sur les deux pieds (je ne l'ai vérifié qu'en prenant sur moi et en jetant une fois un coup d'œil rapide vers mes pieds), un petit trou d'où dépassait une bosse de peu recouverte du nylon beige.
J'ai senti mon cœur se serrer. Ce n'était pourtant pas une SDF que j'avais en face de moi, elle semblait propre, juste usée.
J'ai surpris ses mains jointes sur son sac calé sur ses cuisses.
J'ai soudain pris conscience que je n'avais pas vraiment regardé son visage. Peut être aurai-je du m'en abstenir.
Faisant mine de regarder le plan au dessus de la porte, j'ai levé la tête et mon regard a croisé le sien.... mon sang s'est glacé.
Son visage, cette expression du regard, jamais je ne l'oublierai.
Elle n'avait pas quitté la capuche de sa maigre veste. Son visage semblait pris en étau. Un teint de cire, une peau parcheminée de rides, des arcades sourcilières marquées sur lesquelles bataillaient des sourcils grisonnants. De petits yeux sombres profondément enfoncés dans leur orbite donnait à son regard une expression de folie terrible, presque machiavélique.
Après son regard dont je n'arrivais pas à me détacher, c'est sa bouche qui me choqua. Tout son visage semblait inexorablement aspiré entre ces lèvres....
Comment une pauvre femme comme ça pouvait me mettre aussi mal à l'aise.
De la pitié au profond malaise comment avais-je pu basculer le temps de quelques stations.
J'avais posé ma tête contre la vitre et par le jeu de miroir qu'elle m'offrait, je pouvais l'observer sans plus jamais croiser son regard maléfique.... Maléfique, c'est bien ce que je pensais d'elle à présent..... Mon esprit s'est mis à divaguer. J'étais assise en face de la servante d'un prince aux pouvoirs obscurs...... Pauvre femme asservie à un maître du mal.....
Un cop de frein brutal m'a soudain ramené à la raison. Je regardais le quai Montparnasse" Ouf, j'étais sauvée..... Sans même lui adresser un dernier regard, je descendis de la rame le cœur encore retourné par toutes ces pensées auxquelles je n'étais pas habituée..... Je me suis fondue à la marée humaine qui se dirigeait machinalement dans les boyaux souterrains, essayant tout de même d'analyser ce que je venais de ressentir.
C'était assez confus... je fus soudain tirée de mes pensées par une musique qui venait de loin et qui se faisait plus précise à chaque pas... comme un serpent charmé, hypnotisé par cette mélodie, j'accélérais le pas.
cette musique, je la connaissais très, trop bien.... une foule de souvenirs, merveilleux, émouvants me sont revenus.... une nuit de Noël, après le réveillon, la petite n'avait pas 3 ans et il était 2 heure du matin. La famille avait quitté la maison, et nous venions de tout finir de ranger. Epuisée, je n'aspirais qu'à une chose, me coucher. Mon mari, prévenant me proposa d'aller au lit pendant que lui, mettrait les cadeaux au pied du sapin. Je m'endormis tout de suite. A 3h30, j'ouvris les yeux, j'étais seule dans le lit mais une douce, très douce mélodie venait du salon. Une lueur vacillait dans le couloir qui séparait les deux pièces. Telle une somnambule, je me suis levée pour voir ce qui se passait dans la pièce.
Et ce que j'y vis en arrivant dans l'embrasure de la porte, fut d'une telle intensité que le seul souvenir m'émeut encore aujourd'hui : le sapin brillait de mille feux. Les cadeaux étaient disposés en couronne tout autour et mon mari avait fait un chemin de lumière avec des bougies, des mandarines allant du sapin à la porte. Je restais sur le palier à observer ce spectacle féérique.... cette musique de Noël si prenante "jésus, que ta joie demeure", je crois. Les larmes me sont montées aux yeux, mon mari, assis sur le canapé, un verre à la main me regardait, mi amusé, mi attendri.... "J'ai fermé les volets, comme ça, quand la petite se lèvera demain, il y aura plus de magie encore".... j'ai fondu en larmes... de bonheur.......
Sur le quai du métro, j'étais enfin arrivé devant ce type qui jouait de l'accordéon pour une foule qui ne l'entendait pas....
J'ai fouillé ma poche et en ai sorti 1euro. Je l'ai déposé dans son chapeau, il n'a même pas tourné la tête, avec le brouhaha, il n'a pas vu mon geste, mais qu'importe, je le remerciais à ma façon. Le métro arrivait déjà et je m'y engouffrais...
En moins d'une demi-heure, j'étais passée du malaise au bonheur intense, sur un quai de métro.....

Commentaires

Claudio a dit…
Pas mal ! Tu nous as bien fait faire le voyage. Appliquée, l'écriture.
Bien. J'aime qu'on soit en éveil et qu'on relie les évènements.
barbara a dit…
la lecture de "l'expert" qu'est mon père a relevé certains "dysfonctionnements" dans ce texte, les fameuses unités de lieux, de temps et d'action.... tant pis, en revanche je le réviserai peut être plus tard pour quelques modifs.
Françoise a dit…
Tu écris toujours aussi bien, Barbara. Il y a peut-être certains "dysfonctionnements" dans ce texte, mais ils ne m'ont pas du tout gênée, j'étais avec toi, et j'ai eu les mêmes ressentis que toi en te lisant.
Bravo, Barbara, et merci.
Douce nuit à toi, et gros bisous.
mona74 a dit…
comment expliquer tout d'abord cette "pitié", puis ce malaise menant à une presque terreur???? est ce l'apparente pauvreté de cette femme, puis son regard peut-être dû simplement au dégout des autres, voire d'elle-même, en constatant sa "différence", sa position d'infériorité face aua autres "voyageurs" dans cette rame de métro! Et ta sensation ne vient t'elle pas d'un sentiment de honte de voir que tous n'ont pas notre chance! puis cet musique qui te ramène à de si heureux évènements, juste après cet effroi, n'est elle pas venue à un moment où tu avais besoin d'être rassurée! Mais n'y a t'il pas à creuser davantage, quel est le signe dans tout ça?? eh oui, toujours mon coté mystique et l'envie de comprendre, le hasard n'existe pas, les rencontres que l'on fait ont une importance, parfois même elles sont déterminantes, tu me connais ma Barbie, les signes qui nous sont envoyés, j'y crois!!!!!!
Quand à ton écriture, elle est magnifique, elle m'emporte à chaque fois dans l'aventur avec toi, tu as un talent certain pour raconter, transmettre, je suis folle de jalousie!! hi hi
sais tu que je t'adore???

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