Ma mère

Ce n'est pas la première fois que je veux me poser pour écrire sur elle, ma mère, celle qui m'a donné la vie. J'aimerais dire "Celle qui m'a élevée". C'est en partie vraie. Vraie parce que j'ai grandi à ses côtés, sous son même toit, qu'elle m'a vu grandir et a participé à ma vie. Et pourtant, pourtant, nous sommes tellement différentes, il y a un gouffre qui nous sépare. Je le savais avant le départ de mon père mais. Je l'ai pris de pleine face lorsque papa nous a quittés. Du plus loin que je me souvienne, je n'ai pas de souvenir de la tendresse d'une mère pour son enfant avec moi. Ce qu'elle a su faire avec ses petits-enfants. Peut-être pour se rattraper. Ma mère est aussi ordonnée que je suis bordélique, aussi organisée que je suis brouillon, aussi stricte que je suis artiste. Et pourtant, c'est bien ma mère. Cette très belle femme aux cheveux courts qui a gardé un joli visage malgré ses rides de 75 ans et ses cheveux blancs. Jeune, c'était une bombe latine. Pas étonnant que mon père ait succombé.

Elle s'est beaucoup occupée de mes neveu et nièce, et de ma fille lorsqu'ils étaient petits. Mes parents habitant dans l'école, c'était simple. Ils n'avaient qu'à monter une fois la classe terminée. Elle a fait tout ce qu'elle n'a pas fait avec nous. Mais elle avait plus de temps. Nous n'étions plus sous son toit, elle était devenue fonctionnaire avec des horaires plus facile, plus de déplacements comme lorsque nous étions petits et qu'elle faisait 2 allers-retours Nice tous les jours.

Nos rapports sont difficiles, ils l'étaient déjà avant et encore plus depuis un an et demi parce que j'ai l'impression de découvrir quelqu'un, quelqu'un de plus dur, d'égoïste, de radin et je me dis que mon père était là pour cacher tout ça. C'est lui qui tenait la maison. C'est lui qui faisait que tout était quasi lisse...  Et j'ai découvert ma mère.
J'habite à 100m de chez elle, je l'appelle tous les jours, parfois 2 fois pour lui raconter des banalités de ma petite vie. Parfois quand ma vie sort de l'ordinaire, je lui raconte et lorsque je raccroche, je regrette presque de lui avoir dit... et j'entends dans ses réponses anodines "Et pourquoi toi tu as une belle vie et pourtant moi, je m'emmerde et j'attends la mort sur mon canapé ?"
En octobre, le week end à Paris pour aller voir ma fille a été pour elle toute une expédition. Mais elle était heureuse, elle a marché plus qu'elle n'avait marché en 1 an. Vous me direz, c'était un peu marche ou crève avec moi... Il faut que je le secoue, tout le temps. Elle qui ne quitte quasi plus son canapé, juste pour aller s'acheter ses clopes, ce paquet qu'elle fume quotidiennement et qui lui donne sa belle voix roque mais aussi son insuffisance respiratoire qu'elle a décidé d'oublier car "de toutes façons, s’il y a quelque chose, je ne ferai pas de traitement, je ne veux pas faire comme papa, des années à me battre contre le cancer".... De toutes façons maman, tu n'aurais pas le courage, la force et l'envie.
Je t'ai souvent entendu dire cette année "j'attends la mort"

Comme bien de fois je suis partie de chez toi en claquant la porte, en te disant "Tu me fais chier"... mais chaque fois, au bout de 2 jours, je te rappelle et toi tu prends ta voix comme si rien ne s'était passé. Alors à chaque fois, je te pardonne. Je sais que tu es bien seule, que ton rôle d'infirmière aux côtés de papa te manque. Que tu te sentais utile. Et que là....
Ah, c'est dur de te faire sortir de chez toi, même pour venir manger chez moi, à 100 m. C'est difficile de te faire faire quelque chose que tu n'as pas envie. Tu ne te forces plus à vouloir faire plaisir. Et pourtant. Pourtant.
Ta première petite fille est devenue Notaire le mois dernier. Elle vient de finir son cursus, elle est notaire, enfin, à 27 ans. Papa aurait été tellement fier m'as-tu répété. Alors on est allées toutes les deux dans un magasin prestigieux pour lui faire un très beau cadeau qu’elle gardera. Papa aurait voulu le faire, alors voilà, c'est comme si tous les deux vous lui faisiez ce beau cadeau. Nous avons visité le marché de Noël, dégusté une barbe à papa à deux. C'est ton péché mignon. Et puis dimanche 22, je t'ai déposé à l'aéroport pour Genève.
Cette année tu es partie passer Noël chez ton fils, mon frère...Au dernier moment, tu n'avais plus envie. Trop de choses à préparer, ta valise, mettre en ordre ta maison. Impératif ! Ton avion a été annulé et moi j'étais déjà rentrée chez moi. Tu as su monter une armée pour qu'Easy Jet affrète un bus. Presque 8h de bus à 75 ans. Un peu hard mais tu étais fière. Fatiguée aussi.

Samedi soir, 28 décembre, je me suis endormie sur mon canapé, la tête sur les genoux de mon amoureux. Je n’étais pas bien, j'ai rejoint mon lit. J'ai branché mon téléphone quand il m'a rejoint. Je l'ai senti vibrer (mon téléphone !) Alex m'a dit "Tu le mets sur vibreur ? «.. Oui, je le mets sur vibreur car on ne sait jamais s'il y a quelque chose... Et j'ai pensé à une notification de réseaux sociaux, un mail. Je me suis bien endormie. A 8h30, à mon réveil je prends mon téléphone et découvre plusieurs messages dont un, à 23h59 de mon frère "Salut, ce petit message pour te dire qu'on est aux urgences de Sallanches car maman a un petit problème...". je n'ai pas le temps de lire la suite que le téléphone sonne. C'est lui. "Maman a eu hier soir très mal à la tête, et puis froid et puis elle a commencé à divaguer, à dire des conneries. Elle était chez Morgane (sa fille). Cette dernière nous a appelé et nous sommes descendus chez elle. Maman était confuse. Christophe était avec moi. (Christophe est un de ses meilleurs amis, il est professeur, chirurgien). Nous avons décidé de la descendre aux urgences.".
La nouvelle tombe et m'écrase... Mais merde, maman devait redescendre sur Nice ce soir et nous devions fêter Noël ensemble, notre petit Noël.... Maman est aux Urgences et à 400 km de moi.
Et là, a commencé les minutes interminables au téléphone avec les uns et les autres.
Un autre appel de mon frère m'annonce qu'il y a un hématome au cerveau, avec une petite hémorragie. Et puis, après des dizaines d'échanges le diagnostic tombe, terrible, inacceptable : C'est une tumeur.
Je m'effondre. Nous sommes au crépuscule de 2019 et maman a une tumeur qui lui ronge le cerveau.
Je n'ose l'appeler, mais ma nièce me rassure. Elle semble bien, une bonne voix juste qu'elle est un peu confuse. Alors je l'appelle... "Maman, c'est moi... ben, qu'est-ce que tu fais, tu devais descendre, on devait fêter Noël ensemble ? "..... "Barbara, je crois que je ne reviendrai jamais...". Ma voix s'étrangle, surtout ne pas pleurer. "Mais non, maman, ça va passer".
Mais mon dieu, comme c'est compliqué, comme c'est difficile. Il y a encore 24h je lui parlais, elle était chez Morgane et ils allaient manger, elle avait mangé le midi au restaurant avec toute la famille et là, je parlais avec une femme qui ne savait plus où elle était, qui se perdait dans le temps, qui annonçait sa mort...
"Barbara, tu viens à quelle heure ? «.. "Maman, je suis loin, on va voir ce que disent les médecins"
Je suis passée par des pleurs... comment puis-je perdre ma mère comme ça. Elle est là, mais ce n'est plus elle !
Nous sommes le 31 décembre et cet après-midi, nouvel IRM pour connaitre l'ampleur des dégâts, peut être des décisions à prendre et surtout la décision à prendre de la redescendre à Nice où elle sera plus entourée que dans cet hôpital d'Annecy où elle a été transférée à 140 km de Chamonix.
Moi qui n'ai jamais eu de soucis de sommeil, même pendants la maladie de mon père, me voilà aux prises d'insomnies. Je suis épuisée moralement, physiquement mais mon cœur est tellement douloureux que je n'arrive pas à fermer l'œil. C'est une pilule qui m'y a aidé cette nuit, sans doute une des seules fois de ma vie.
J'ai peur, oui j'ai peur.... Lorsqu'elle est partie à Chamonix pour Noël, en rentrant chez moi, à Beaulieu, je me suis sentie orpheline, rien que de ne pas l'avoir à côté... je n'ose pas imaginer lorsqu'elle partira.
Lorsque je l'appelle elle me demande "Tu es partie ? «.. Maman, je ne suis jamais montée te voir. Nous sommes loin.... "Ah oui..."... "Tu viens me voir ?"...... Non maman, tu vas redescendre à Nice... "Mais je suis à Sallanches là ? «.. Non, tu as été transféré à Annecy et tu vas passer une IRM. "Les médecins m'ont dit que j'avais un truc à la tête....  Je crois que c'est la fin » ... Mais non maman, ce n’est pas la fin, tu vas te battre, papa veille sur toi et n'aurait pas aimé que tu baisses les bras... Tu dois te battre "Mais je me bats, si je ne me battais pas, je me morfondrais dans mon lit. De toutes façons, vous n'avez pas besoin de moi. Les cimetières sont pleins de gens irremplaçables. C'est mon patron qui me disait ça. Vous allez venir ?" Non maman, nous attendons que tu redescendes à Nice, surtout si c'est dans 2 jours. 2 heures plus tard, elle me rappelle "Ça va ? Vous êtes partis ? Vous venez à quelle heure ? «.. Maman, je t'ai eu tout à l'heure, je t'ai dit que nous allions t'attendre à Nice. "Mais non, je ne t'ai pas eu au téléphone".... C'est terrible en si peu de temps de la voir comme ça... maman...
Nous sommes le 31 décembre et je suis dans l'attente de résultats, nous le sommes tous... et elle, ce matin n'a pas le moral, sa voix est devenue plus faible, tremblante, elle est au bord des larmes. Je crois qu'elle prend conscience.... Elle se dit confuse car ça fait "24h que je suis enfermée là"...
Maman, si tu savais comme je regrette tous ces mots durs et ces pensées mauvaises que j'ai eu... Aujourd'hui, tu es une petite fille fragile... Mais comment est-ce possible ? Toute la famille est sous le choc. Anaël à Paris est inquiète, malheureuse, perturbée et pleine de regrets parce qu'elle n'a pas pris le temps de t'appeler pour te remercier pour ton virement, parce qu'elle t'a dit tant de fois « je t'appelle ».. Et puis non. Maman, j'ai les mêmes regrets de ne pas avoir pris assez soin de toi....

Ma petite maman....

Commentaires

yves a dit…
Moi qui guettai un nouveau post avec des photos de Jordanie que tu réalise si bien et puis voilà, des mots terribles qui reviennent, où on sent ton désarroi face à une situation que tu ne maitrise pas mais subit et qui fait ressortir les souvenirs et les sentiments de toute une vie. Des moments où on fait une sorte de bilan des échanges que l'on a eu avec l'autre et même si ils n'ont pas toujours été 'gentils" on se rend compte qu'on aurais dû se parler encore plus et lui dire combien on l'aime.Te voilà de nouveau confrontée à des moments très difficiles à vivre mais heureusement tu n'est pas seule et c'est un peu plus facile quand on est dans une famille où tout le monde s'entend bien.
Malgré tout je te souhaite une bonne année (surement difficile) car la vie continue et nous apporte aussi des joies (pas assez à mon gout)
Gine a dit…
Les relations mère-fille ne sont pas de tout repos! Et quand la mère est une femme de fort caractère - qu'elle a transmis à sa descendance - c'est difficile au quotidien. Puis, un jour, tout s'inverse... C'est la mère qui devient l'enfant et pour la fille c'est un nouveau rôle qu'elle n'avait pas prévu et qu'elle doit inventer toute seule. Je vis avec cette responsabilité depuis plusieurs années, c'est lourd - souvent - mais je me dis que malgré tout, j'ai de la chance, car ma maman est encore là. Que te dire, à part "Courage"? La vie est pleine de surprises et on peut encore y trouver de la saveur... Amicalement

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