Comme un air de déjà vu

 La situation est différente, mais je la sens glisser, doucement à sa manière vers une destination que elle seule peut atteindre. Mes visites se succèdent au rythme de 2 par semaine, le mercredi et le samedi. Et je vois la différence d'une visite à l'autre. Les choses s'accélèrent. Le physique s'ajoute au mental et aujourd'hui, c'est sa main qui lui échappe. Suspicion d'AVC. Et a chaque fois, elle me dit "Qui aurait cru que je serai dans cet état un jour". Il y a la conscience de son état, la conscience que des gestes aussi simples qu'attraper un verre lui échappent. Il y a quelques jours encore, elle me suppliait de la laisser rejoindre papa, aujourd'hui elle est là, ne se lamente plus, mais constate. Parfois le regard se perd dans le jardin, à travers la baie de sa chambre de convalescence. Le soleil est là, dehors, chaud qui pourrait réchauffer ses os, mais la volonté et la force de se hisser et même de se faire hisser sur un fauteuil l'ont quittée. Il faut la laisser tranquille. Son équilibre est précaire même assise dans son lit, elle penche.

Mes sentiments sont tellement ambivalents au fur et à mesure de mes visites. Je me suis entendue dire "J'aimerais que l'on m'appelle pour me dire qu'elle s'est endormie" et puis, le soir, quand je rentre, seule dans mon lit et que je pleure, il est pour moi impensable de la laisser partir presque 3 ans après mon père.. être orpheline c'est quelque chose que je ne veux pas. Elle n'est pas vieille, tellement de choses encore à faire.

Ces deux derniers jours, son caractère s'est adouci, il n'y a plus cette violence, cette jalousie dans sa voix, dans ses propos. La voix est au ralenti et je la revois un peu plus d'une an auparavant quand tout ça a commencé, la tumeur, les hôpitaux, les diagnostics divergents. Et c'est comme ça que je sais, que je sais que tout recommence avec de la fatigue, de l'épuisement et de la lassitude de vivre en plus.

Même sa cigarette n'est plus à l'ordre du jour et ça c'est un signe. Ce ne sont pas les patch qu'ils lui collent (ou plus?) qui font effet, mais plutôt son cerveau qui en a fait le deuil et qui l'efface petit à petit de sa mémoire. Ce n'est même plus cette cigarette tant aimée qui la motive a se faire mettre au fauteuil pour sortir. Si on en est là, c'est que rien ne va plus et j'ai du mal à l'accepter.

Aujourd'hui, je me prépare comme je l'ai fait il y a bientôt 20 ans pour mon père, je me prépare à voir partir ma mère. Je sais que l'on ne part pas d'une fracture, que malgré semble t'il un AVC, elle est encore là, sa tumeur au cerveau et son nodule au poumon, toujours là mais... Ma maman, cette magnifique femme s'est évaporée, partie en fumée, dans cette fumée de Gauloise qu'elle aimait tant et qui empestait son intérieur, sa voiture, ses cheveux... Il me reste de cette belle femme, un être qui se décharne petit à petit et dont le regard se vide peu à peu de ses expressions familières, remplacées par des vagues d'ailleurs, des pensées insondables...

Avec moi...1971


Commentaires

Gine a dit…
Une photo rayonnante! Quand nos proches s'en vont tout doucement dans l'oubli d'eux-mêmes, c'est une consolation de se souvenir qu'ils ont été "eux"... Je vis cette situation et je me raccroche aux images du bonheur...
barbara a dit…
Merci Gine pour t'être arrêtée sur ce texte. C'est beau ce que tu dis "l'oubli d'eux même".. Mais c'est tellement ça. Au jour le jour je vis cet oubli, et tous les jours, les nouvelles qui ne sont pas bonnes creusent un peu plus ce fossé entre ELLE et elle....Bon courage à toi aussi.
Je susi venue me rattacher une fois de plus à mon blog car à vivre ceci au quotidien c'est difficile. Pour ma part, je ne veux pas me plaindre, être a fille qu'on ne veut plus croiser pour ne pas avoir à demander "Ça va?" car on sait que l'on est parti pour 2h de pleurnicheries, d'apitoiement. Je l'expérimente en ce moment au boulot et pourtant j'essaye de garder le sourire, de ne pas paraître trop affectée.. mais je ne peux pas dire non plus "Yes, tout va bien, la forme olympique"... j'ai déjà des collègues qui venaient tous les matins faire un coucou, qui ne passent plus dans mon bureau.
Alors pour ne pas exaspérer les gens, je reviens ici parler.. peut être toute seule. je suis lue, ou pas....là n'est pas le souci....mais ça sort. Quelqu'un m'a dit "Il faut écrire puis bruler".. Moi, j'écris et je relis bien plus tard, pour garder un témoignage de ce que j'ai vécu. C'est important de se retourner et de voir tout le chemin parcouru et surtout, d'en garder une trace...
Alors encore une fois merci d'avoir laissé une trace de ton passage.
Sule a dit…
Bonjour
Je comprends tres bien ce que vous vivez.J'etais avec mes parents qui vivent dans une autre ville apres ma retaite. Je vivais plutot avec eux que chez moi.J'etais contente d'etre avec eux.On se baladait on s'amusait dans plupart du temps. Mais leur derniers ans ( ils sont partis avec intervalle de 11 mois) la peur de ce qui peut leurs arriver,etre toujours en veille, controler tout, l'epuisement phisisque et mentale qui parfois se refletent dans mes attitudes nerveuse et puis me culpabiliser...
Je pense que c'est la responsabilite des enfants de veiller a ses parents.
Mais comme vous dites ils ne sont pas enfants et c'est plus differente de s'occuper un adulte qui n'est pas maitre de soi ni physiquement ni mentalement.C'est fatiguant si on pense qu' on est deja dans une phase de la vie ou nous sommes aussi deja fatigue de ce que nous avons vecu nous memes.Nos propres charges.
C'est humaine tous ca.Et rassurez vous c'est mieux de ne pas la laisser toute seule a son destin apres avoir etre tenue jadis dans ses bras si tendrement , en tant qu'une etre chere que vous etes.Nous avons des faiblesses et ces normales.Malgre ca vous etes a cote d'elle.Elle vous pardonerrait j'en suis sure rien que pour cela.
A propos elle est tres jolie.


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