La vie ou l'enfer

 Il y a un mois, lorsque ma mère est revenue à la maison après plus de 5 semaines d’hôpital et de maison de convalescence, j’ai eu l’impression que le monde me tombait sur la tête. Je suis une artiste et comme toute bonne artiste qui se respecte, je suis désordonnée, désorganisée, déconcentrée par un papillon qui passe… le nouveau rôle qui m’attendait me semblait insurmontable.

J’en voulais à la terre entière car je n’avais pas demandé ce rôle, toutes ces tâches me semblaient impossibles. Pourquoi moi??? Parce que je n’habite qu’à 100 m de chez elle? Je me suis souvenue mes discussions avec ma psy il y a des années.. « Couper le cordon, déménager et changer de ville… C’est faisable ce serait salvateur pour vous ». Oui, sauf que mon père était malade et mon frère était déjà loin, je ne me sentais pas de partir alors, je suis restée. 
Je crois que je me suis donnée toutes les bonnes raisons de rester tout simplement parce que je ne voulais pas partir.
Mon dieu que c’est dur de s’occuper d’un adulte, si lourd à porter, à porter en plus de son propre poids, avec tous nos bagages, nos remords, nos regrets et notre culpabilité qui se nourrit un peu plus chaque jours de nos pensées refoulées.
J’ai ce souvenir ce premier jour où, dormant chez elle, je me suis réveillée et…. non, je ne me sentais pas de la changer. J’allais attendre les infirmières. 
Non, pas elle dans cet état de dépendance avec ce regard vide, aussi vide que ses joues amaigries et creusées par le manque d’appétit et la démission face à la vie. 
Ses mots « Barbara laisse moi mourrir ! » et ses chaudes larmes.
Mes mots durs « maman, arrête de pleurer, ça ne sert à rien, reprends toi, papa qui était condamné ne pleurait pas ».. « Oui mais papa m’avait moi.. » 
Oui papa l’avait elle et aujourd’hui, tu m’as moi et je suis quoi alors?

J’ai eu ces pensées, ces prières quand, le soir, avant de la quitter et la laisser seule dans son appartement, sa minette sur ses pieds, couchée seule dans la pénombre de son salon, je lui enlevais ses dents et que j’attendais qu’elle s’endorme… 
Je la regardais, ce visage un peu plus creusé encore, son joli visage tout déformé, comme si sa bouche était aspirée par ses joues…. "Papa, viens la chercher, amène la avec toi, c’est trop dur de la voir comme ça" C’est quoi son avenir, clouée dans son lit médicalisé, ces odeurs de pipi omniprésents, ses pleurs quand elle m’appelle inlassablement et que je la vois par la caméra… ses réveils où elle voit sa mère et sa grand mère… 
C’est quoi cette vie ?!? Ce n’est plus une vie, c’est un enfer…. Et tout ça, en moins de 6 semaines. Un corps comme un carcan, avec à l’intérieur, un cerveau en plein dysfonctionnement, qui dit des bêtises, qui invente, qui interprète mais qui n’est plus capable de diriger un bras gauche mort, une jambe opérée mais elle aussi touchée ! 
Et puis quand elle me dit que le matin, elle voit sa mère et sa grand-mère.. que dois-je en penser ? Pourquoi just elles et pas mon père.. 
C’est quoi cette vie qu’elle mène, que je mène… 
Et si elle partait, serais-je plus malheureuse ?.. 
Papa dis moi que c’est bientôt son tour et que c’est le mieux pour elle parce que j’en arrive à l’espérer et en même temps c’est une si grosse culpabilité qui s’écrase sur mes épaules….

C’est dur de le verbaliser et en même temps ça fait du bien. Et lorsque, presque honteux, on arrive à le partager on s’aperçoit que ce discours, qui peut peut être en choquer certains, est assez commun !

Nous oscillons entre volonté d’en finir et cette furieuse envie de les garder tout près, le plus longtemps…
Le sujet est tellement d’actualité en ce moment, il vient à point nommé pour me faire cogiter….
Et puis, il y a des progrès.. une main morte dont les doigts recommencent à bouger et un peu plus de jour en jour. On se surprend à espérer des jours meilleurs pour elle.
On se surprend aussi à se dire « Mais si à un moment elle se met debout, qu’elle devient plus autonome, ce sera pire pour moi… La peur qu’elle rechute encore une fois et s’estropie encore un peu plus, la tête, le corps, la déchéance….. ». Et puis ça arrive, elle chute un dimanche matin, on ne sait comment elle est arrivée à abaisser sa barrière. A la caméra ses cris, ses pleurs... les pompiers les urgences, le scanner. Retour à la maison. Plus de peur que de mal. Et pour moi la boule au ventre.. Si elle l'a fait une fois... dans combien la prochaine fois et dans quel état ?
J’ai eu une conversation avec un ami qui me demandait si je pensais que l’on était passé à côté de nos rêves? Si on était trop vieux pour rêver? Je lui ai dit que ce que je vis actuellement me fait prendre conscience une peu plus chaque jour que les jours s’égrainent, se gaspillent, vides… Comme ces week end où tu restes avachi sur ton canapé à regarder la TV ou sur ton ordinateur sans avoir mis le nez dehors malgré un magnifique soleil et de douces températures. 
Le dimanche soir tu te dis « Zut ! C’est stupide, demain je me renferme au bureau et je ne suis même pas sortie !» 
Tes week ends vides se transforment en jours, en semaines, en mois vides où tu t’effaces un peu plus chaque jour jusqu’à disparaitre et à ne devenir plus qu’aidant et un jour, après le départ de la personne aidée, tu te regardes dans une glace, tes cheveux blancs, tes douleurs et ton âge avancé tu te demandes ce qu’a été ta vie ces derniers temps? 
De longs jours d’abnégation, de souffrance, de silence et d’oublie de soi.
On va te dire que tu peux être fiers de ce que tu as fait? J'en retire aucune fierté ! Mais surtout, le prix à payer n’est il pas disproportionné? Sauver un vieillard, jusqu’à en devenir un toi même.
Et c’est la longue liste des vieillards qui s’allonge. 
Tu en fais maintenant partie et tu va te demander si ton enfant ou une tierce personne se sacrifiera pour toi comme tu l’as fait.. Alors que personne ne t’a forcé.

C’est une réflexion qui m’est propre. Égoïste, dure, mais honnête je pense.

Cette photo de ma mère est très récente. Je l’aime bien. C’est bien elle… ce noir et blanc ajoute de la dureté à son visage, mais il est un peu à son image, l’image d’une femme dure avec moi, à vouloir trop m’aimer, trop me protéger pour éviter que je ne chute.. Mais ce n’est pas la solution car la chute, lorsque l'on est adulte.. C'est terrible et tellement douloureux !

Aujourd’hui, c’est moi qui lui tiens la main pour retenir, comme je peux, sa chute …inéluctable.



Poussinette, la petite garde malade



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