Elle s'est éteinte


C'était le jeudi 7 octobre,

entre 20h et 20h45. Elle profita de mon absence, juste un instant pour prendre la poudre d'escampette...

On m'a dit un jour que je devais écrire les choses sur papier, puis les brûler, pour tourner la page...

Aujourd'hui, c'est tout le contraire que je veux faire, pour ne pas oublier cette journée terrible du jeudi 7 octobre 2021 parce qu'elle fera à tout jamais parti de moi, de ma vie. Parce que mon cerveau essaye de s'arranger avec la souffrance en effaçant tout ce qui est douloureux.. Mais je ne veux pas oublier ma mère, alors, je l'écris.. 

La semaine avait été compliquée pour maman... j'avais décidé de contacter les soins palliatifs, son médecin étant trop dans l'inertie. Il fallait que ça bouge, dans un sens ou dans l'autre. Je ne pouvais plus supporter de la voir dans cet état là.  Alors, la semaine d'avant, une équipe détachée des soins palliatifs est venue. Un médecin coordonnateur, une interne, une assistante sociale et un Psy. Des gens qui transpiraient la bienveillance. Ce dont j'avais besoin. Des gens compétents à évaluer l'état de maman. 

Le docteur parlait d'une voix très posée, apaisante, douce. Il m'expliqua qu'effectivement maman n'allait pas bien. Elle avait recommencé sa litanie de "maman, maman, maman"... elle ne mangeait plus. Les personnes qui se succédaient auprès d'elle pour les repas ou les gouters n'arrivaient plus à lui faire ouvrir la bouche. Le médecin avait finit par convaincre le généraliste de la mettre sous perfusion pour l'hydrater, au moins... Le lundi, le généraliste est passé pour prescrire une perf de produit dont les soins palliatifs se servent pour calmer les patients.. elle serait un peu somnolente, mais plus dans cette souffrance psychique.  Il m'expliqua que le dosage, serait à 0,4 et que pour une sédation profonde, le dosage prescrit est de 8. Nous en étions loin. Le mardi, une infirmière est venue mettre en place le protocole. Je ne l'ai eu que par téléphone, mais Laura m'a inspiré confiance, elle était douce, gentille, très humaine. Et je crois que j'en avais besoin.  L'infirmier qui venait poser la perf d'hydratation aller continuer le traitement tous les jours.

Durant les premières 36h, maman a été calmée... Elle dormait, son visage s'était décrispé. Nous lui parlions et j'imagine que de son sommeil, elle nous entendait.

Le SSIAD qui s'occupait d'elle savait que maman était en fin de course et ils prenaient une infinie précaution à s'occuper d'elle, sa toilette... nous avions arrêté tout autre traitement. Il fallait la laisser tranquille. Nous avons laissé en place toutes les personnes qui venaient même si elles ne servaient plus à rien, elles étaient là.. maman n'étaient pas seule. Le soir, je passais et je restais en même temps que Véro, nous parlions autour d'elle, elle pouvait ainsi nous entendre.

Le jeudi matin, Laurence du CCAS m'a appelé pour me dire qu'elle n'ouvrait plus la bouche du tout, mais je le savais.. elle a fait du ménage, s'est occupée de la chatte..

Ce jour, à mon travail, je travaille dans une mairie au service communication, nous avions un forum "Bien vieillir". Le DRH nous avait permis d'y participer durant 30 mn, en roulement. Il y avait des ateliers divers, des intervenants. J'y ai passé au moins 1h. Une naturopathe, une psy auprès de laquelle je me suis épanchée .. ce que je vivais, ma culpabilité de me dire que j'espérais que ma mère s'endorme tranquillement plutôt que de durer comme ça... Mais je me souviens, je lui racontais ça, comme je raconterais une histoire.. peu d'interaction.. et à la fin, je me sus levée et lui ai dit "Merci de m'avoir écoutée"..; et un type qui faisait du Shiatsu. Pendant près 1/2h je pense, il m'a massée, "touchée"... je crois que j'avais aussi besoin de ça.. mes douleurs partout, mon stress, mes angoisses...

je suis rentrée détendue à la pause déjeuner. Je me sentais un peu plus légère.

Sylvie qui était à midi avec maman m'a appelée. Maman n'allait pas bien, son visage était à nouveau crispé et elle se plaignait doucement, elle avait une respiration saccadée. Laura, l'infirmière des soins palliatifs m'a appelé pour savoir comment s'était passée la journée et à mon récit elle fit demi tour alors qu'elle rentrait chez elle pour aller au chevet de maman. Elle pu constater et appeler le médecin des soins palliatifs qui lui aussi vint.  Il fallait réévaluer le dosage. De 0,4, nous allions passer à 0,8 dans la soirée de quoi la mettre dans un état plus confortable et ajouter un médicament pour essayer de la dégager de ses glaires.

J'ai mis en place mes affaires au bureau et suis allée voir les RH pour leur dire que je posais mon vendredi et que pour la suite, je les tenais au courant le lundi matin..

Quelque chose me disait que nous étions à la fin et j'avais prévenu... quand ce serait la fin, je prendrais des jours pour être avec elle et pour me poser "après".

A 17h, je suis partie chez maman. J'aurais dû aller au sport mais non... alors, je me susi écoutée.

Elle était allongée, la bouche entre ouverte, très encombrée, elle bavait, sa respiration était saccadée, l'impression qu'elle allait s'étrangler à chaque respiration.. je lui essuyais la bouche, je lui parlais... 

Ma nièce l'a appelée, j'ai tenu le téléphone. Elle lui a dit qu'elle l'aimait, que si elle voulait, elle pouvait partir et plein de jolies choses. Anaël ma fille a appelé aussi et lui a dit combien elle avait été un super grand mère, combien elle l'avait aimé, tout ce qu'elle lui avait appris.. des choses tellement émouvantes que Véro, arrivée vers 18h s'est retirée dans la cuisine pour essuyer ses larmes. Et puis mon frère, Eric.. "Bon, maman, j'arrive demain, d'accord, je viendrai te faire des bises en vrai, ok?"

Une des aides soignantes du SSIAD qui est venue ce soir là, était une fille avec qui j'étais à l'école dès la maternelle.. se revoir dans de telles circonstances. Elle a eu de gentils mots pour maman, pour moi, pour notre famille.

Et puis Véro est partie, je suis restée seule avec Elle. Sa Poussinette n'était plus sur elle... Comme si elle avait senti, depuis quelques jours, elle ne dormait plus sur elle, venait de temps en temps la voir mais ne restait pas.

Maman était fraîche.. ses jambes marbrées. 

L'infirmier qui est venu, ajouta dans la perf le produit pour les glaires.. il avait le regard triste. C'est un beau métis qui s'était occupé de mon père avant que ce dernier partent à l'hôpital pour s'y éteindre 3 ans plus tôt. 

Il me demanda si je comptais dormir là cette nuit.. ma réponse fut très égoïste "Avec le bruit qu'elle fait, sa respiration, je ne suis pas certaine de pouvoir dormir, me reposer et j'en ai besoin".. Il m'a souri et m'a dit "C'est ce que j'allais vous dire, rentrez, c'est mieux".. je crois qu'il savait. Il savait que j'allais avoir besoin de forces. 

Lorsqu'il est parti, je suis restée auprès d'elle, j'ai tenu sa main, je lui ai parlé doucement, tendrement et lui ai dit de partir si elle voulait, qu'on s'occuperait de tout, de Poussinette.. mais d'attendre peut être Eric demain. Et je l'ai embrassée sur le front. Je ne supportais plus cette odeur qui régnait autour de son lit. Je lui ai dit "Aurevoir, à demain maman, je t'aime".. au fond de moi, je savais.

Je suis descendue manger à 20h00. J'étais remuée, je n'avais pas très faim... et puis, à 20h45, alors que nous finissions de manger, j'ai regardé sa caméra sur mon téléphone... La peluche girafe me cachait son visage. Je ne la voyais pas... Mais surtout.. je n'entendais plus de bruit. je suis allée m'enfermer dans la salle de bain pour être certaine que c'était le silence chez elle et j'ai lancé à Alex.. "Je ne vois pas son visage, et surtout, je n'entends plus rien". On a laissé tout allumé, et on est montés chez elle. A 100m de chez moi. En arrivant devant sa porte, j'ai mis la clef dans la serrure, pris une grande respiration et j'ai franchi le seuil. Un silence de mort régnait dans ce salon où seule sa lumière de chevet éclairait la pièce. j'ai regardé sa poitrine, sa gorge nue qui ne se soulevait plus, plus de bruit.. Poussinette était sans doute cachée.

Je me suis tournée vers Alex et lui ai dit "Ca y'est, elle est partie"...Je suis restée un moment sans voix, sans émotion, partagée entre le soulagement et la tristesse... Ma maman nous avait quittés... et j'étais devant son corps. Elle avait attendu que je m'absente pour partir. Jai pensé à ses mots quand papa est parti alors qu'ils étaient tous les deux à l'hôpital, elle à le veiller "Mais je me suis endormie un instant et il s'est éteint, il a peut être eu peur, j'aurai voulu lui tenir la main...".. J'ai ressenti ce dont elle parlait.. j'avais passé tellement de temps à ses côtés et elle avait profité de mon absente, pour se retirer sur la pointe des pieds... Elle était encore chaude, ça venait de se produire. Peut être qu'elle avait eu peur...

Alex lui a cherché bêtement son pouls.. il ne le trouvait pas.. forcément, il n'y en avait plus... Collé son oreille sur sa bouche...

J'ai appelé mon frère "Maman est partie"... Silence à l'autre bout... "Bon....... "Une voix derrière lui et la sienne "Ma mère est morte" d'une voix blanche........ "Putain, elle ne m'a pas attendu, je lui avais dit que je venais demain, j'aurais voulu l'embrasser, lui tenir la main...".. Il pleurait.. j'avais le coeur en miettes pour lui. J'ai appelé  ma fille pour lui annoncer, puis ma tante, sa soeur. Un choc pour tout le monde. Sauf pour moi. Je redoutais ce moment et en même temps je l'espérais tellement, la voir dans cet état était difficile.

J'ai appelé une amie qui travaille au service de l'état civile de la mairie de ma vile et surtout, elle avait travaillé pendant des années avec ma mère au service de la Paye. Elle était désolée. M'a donné les instructions : appeler le médecin pour faire constater. Mais il était 21h. Pas de réponse du docteur. J'aurais pu appeler le 15, mais nous n'étions plus à une nuit près...Son généraliste devait venir le vendredi matin à 8h15. Je lui ai envoyé un sms. Qu'il trouvera le vendredi à 8h en rallumant son téléphone. J'ai rappelé mon frère en lui disant que je demanderai aux pompes funèbres de venir rapidement le lendemain pour enlever le corps...je ne voulais pas qu'elle reste là trop longtemps... Il était perdu. On a raccroché.

Maman avait la bouche ouverte... son visage déformé m'impressionnait. J'ai posé un gant sur sa bouche. elle avait la tête penchée sur le côté, son cou tendu... Je me suis souvenu des mots du médecin des soins palliatifs "Vous pouvez m'appeler même cette nuit si vous avez besoin".. alors, j'ai pris mon téléphone et je l'ai appelé. Il habitait dans l'arrière pays mais m'a dit "Je viens si ça peut vous rassurer".. alors je lui ai dit que oui... Il lui a fallu 1h pour venir.

Il a constaté le décès écouté son coeur.... sa voix était douce, j'ai appréciéson comportement et sa délicatesse.... M'a donné les instructions après la visite du médecin le lendemain matin. Il aurait pu faire lui le constat de la mort, mais pour ne pas froisser le généraliste, il l'a laissé le faire.

Nous sommes restés encore un moment avec elle, au départ du médecin.. je lui a parlé, je ne pleurais pas vraiment... elle ne souffrait plus. Ca m'a fait drôle de refermer la porte derrière moi, elle morte dans ce salon, comme si en fermant cette porte, je clôturais un chapitre, une histoire....

Nos sommes rentrés vers 23h. J'étais épuisée, après un certain temps, je me susi endormie, mais à 3h20 j'étais réveillée.. Impossible de me rendormir. La journée allait être longue.


Commentaires

Françoise a dit…
Ta maman est partie. Je comprends tout ce que tu dis, écris, Barbara, pour l'avoir moi-même vécu en 2002 lors de la mort de ma mère. La tristesse mais aussi le soulagement, le fait de se dire que c'est mieux pour elle, que cela ne pouvait pas durer ainsi, qu'elle a enfin trouvé la paix, et retrouvé son mari, ton père. Voir les gens que l'on aime n'est pas facile. Comme tu as du le lire sur FB, je viens de perdre ma meilleure amie, un deuil de plus à faire. Je crois que tu l'as vécu toi aussi ?
Je pense très fort à toi, Barbara. Maintenant, tes parents seront deux à veiller sur toi.
Je t'embrasse fort.
Françoise a dit…
Voir partir les gens que l'on aime n'est pas facile
yves a dit…
Bien que l'on dise que l'on s'y est préparé,c'est toujours dur à accepter qu'ils soient partis.C'est aussi un soulagement car certaines situations ne peuvent pas durer, c'est trop pénible pour la personne qui souffre et épuisant physiquement et psychiquement pour ses proches.
La photo d’en-tête montre ta nouvelle vie après ces épreuves, la lumière, la joie et la vie, tout simplement.
Après, il reste les souvenirs et j'en suis certain plein de photos.
Il y a aussi ton retour avec tes superbes photos que l'on attend0
Je t'embrasse très fort.

Yves
Gine a dit…
C'est dur, mais c'est aussi un soulagement de savoir que les souffrances se sont arrêtées en même temps que la vie... Il y a un moment où notre incapacité à guérir, à partager, à aider devient insoutenable et je pense aussi au sentiment de l'irrémédiable. De tout coeur avec toi, amicalement.
barbara a dit…
Amis qui êtes passés par là, je vous remercie du fond du coeur d'y avoir laissé votre trace, sous forme de quelques mots.
J'ai ce besoin d'écrire en ce moment, alors me revoilà. Mais comme toujours, je vais être irrégulière ... mais revenez quand vous voudrez, vous trouverez sans doute texte de plus, ou quelques photos.

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